La passion du Docteur Gaudichard par Francis Lacloche
« L’homme qui écrivit l’histoire de l’église : Ernest Colas – Maire de Haute Isle »
Un beau jour de 1928, un Tourangeau qui admirait les habitations troglodytiques des bords de Loire découvre dans le Larousse que sa région n’est pas la seule à disposer d’un fleuve ayant creusé son lit en érodant des falaises de craie. Sur les bords de Seine, dans l’une de ses boucles, il existe une série de grottes dans lesquelles sont installés, depuis des siècles, des habitations, des pigeonniers et même des caves viticoles. Car on y cultive aussi, comme en Pays de Loire, la vigne.
Ce Tourangeau habite alors Saint-Mandé et il n’a pas un gros effort à faire pour aller voir à Haute-Isle de quoi il retourne. Il y rencontre, jardinant au pied de l’église, un homme qui va lui faire découvrir les grottes qui la surplombent. Elles lui apparaissent très vite comme la caverne de tous ses désirs. Le jardinier n’est autre qu’Ernest Colas, (auteur de Haute-Isle, Village du Vexin-le-François, publié en 1928 à Mantes-sur-Seine, par l’imprimerie Beaumont, 48 rue Nationale).
Ancien instituteur et maire, Colas est passionné par ce coin de paradis resté tel, à ses yeux, que le chanta Boileau. Il cultive un potager dont il vend les fruits et légumes aux touristes de passage. Il va devenir l’ami du nouveau venu et l’aider à acquérir les grottes auprès des paysans qui les possèdent ; la vigne couvre alors les collines calcaires mais périclite depuis un demi-siècle. Sans successeurs pour exercer ce dur métier, les vignerons vont céder leur arpent de colline et faire de notre Tourangeau un Hautilois passionné. Il s’appelle Edmond Gaudichard. Médecin, il a su concilier son magistère et les passions qui l’enchantent
« Le docteur en médecine qui inventa l’univers troglodytique qui surplombe l’église : Gaudichard »
Dr Gaudichard publiera aussi, en 1910, un texte issu d’une conférence prononcée à Châtellerault sur les effets hallucinatoires de la morphine.
Devenu propriétaire de ce vaste domaine de grottes difficilement accessibles, il les aménage, les rend presque confortables au point d’en faire sa résidence de week-end. Son fils est ravi de jouer dans ce paradis pour enfants aventureux mais son épouse ne voit pas les choses du même œil et exige bientôt un logement plus décent. Edmond Gaudichard dessine lui-même sa maison et la fait construire en briques d’argile au pied de ses grottes, à côté de l’église qu’il va aussi s’efforcer de faire protéger et restaurer par les services des Beaux-Arts de l’époque. Sa demeure originale, que les archéologues désignent volontiers de style mérovingien, devient le poste avancé du chantier de réhabilitation des boves. Elles sont progressivement rendues accessibles à la visite. Les cars de touristes affluent. En 1936, congés payés aidant, les boves de Haute-Isle sont devenues une destination prisée : une buvette est aménagée dans un garage voisin, exploitée par la propriétaire du café-tabac de La Roche-Guyon, le Balto. Sa gérante, Mandette Sestier, persuadera même ses enfants de délaisser, le temps des week-ends, leurs sérieuses occupations professionnelles pour servir les touristes assoiffés au retour d’une matinée à baguenauder dans les collines et leurs mystérieuses boves. Mais en 1939 les bruits de bottes se font de plus en plus inquiétants, et la visite des grottes s’interrompt. Elle ne reprendra plus jamais.
Une expédition ardue
Pour atteindre les grottes, il fallait grimper un escalier de 245 marches. Edmond Gaudichard décide de faire construire un mini-funiculaire qui connaîtra une fin tragique, tuant l’un de ses passagers. À la Libération, l’aventure des grottes est terminée. Malgré la vigilance de son fils Claude, des vandales détruisent portes, fenêtres, mobilier, et même le four ancien que la famille Gaudichard utilisait durant les week-ends.
Le cimetière
Au pied du cimetière de Haute-Isle, un hommage est rendu au Dr Gaudichard, à qui l’association des Amis de Haute-Isle reconnaissante voulait ériger un buste. Lucide et modeste, il refusa et suggéra que l’on y place une reproduction en bronze du Penseur de Michel-Ange. Il laissait à ses concitoyens un message clair : réfléchissez à rendre toujours harmonieusement compatibles les traces du passé et les élans bâtisseurs du présent. Quand on circule sur la route qui longe les collines, on a le sentiment qu’il n’a pas été toujours entendu et qu’ils furent bien absents, ceux qui étaient chargés d’en faire respecter les principes.
« Le parcours étonnant du Dr Gaudichard, musicien, parolier et scientifique »
Musicien et excellent pianiste, il a, dans sa jeunesse, exercé ses talents en dehors de sa ville natale de Châtellerault : à Montmartre, il a découvert qu’un autre Châtelleraudais de ses amis, Rodolphe Salis, avait ouvert un cabaret devenu célèbre, Le Chat Noir. Edmond Gaudichard y jouera, de temps à autre, du piano. Il devient aussi un compositeur prolixe dont le répertoire est édité à Paris chez Georges Ondet, diffuseur du répertoire de Mayol. Écrivain à ses heures, il se fait appeler Edgard d’Hucdomain, une anagramme de son nom. Il publiera deux romans, dont un dit de mœurs au titre prometteur, Rêves & Supplices, ouvrages qu’il ne fallait pas, à cette époque plus prude que la nôtre, mettre entre toutes les mains.
En 1933 se tint à Paris un congrès de radiesthésistes dont la passion doit beaucoup à deux figures de la discipline : l’abbé Alexis Mermet et l’abbé Alexis Bouly.
Alexis Mermet (1866-1937) fut un baguettisant hors pair et découvreur des grottes de Lacave, dans le Lot. On l’appelait le prince des sourciers. On lui doit un ouvrage de référence, Comment j’opère, édité par la Maison de la radiesthésie en 1935 et réédités par les éditions Exergie en 2010.
Quant à Alexis Bouly (1885-1959), il est considéré comme l’inventeur de la radiesthésie ; il inventa le mot en 1890 et devint rapidement une célébrité mondiale dans ce domaine.
Les grottes étaient probablement remplies à cette époque d’objets fort anciens, poteries et pièces de monnaie; elles cachaient des sources bien utiles pour alimenter la maison du Dr Gaudichard : il invita donc les éminents congressistes à exercer leurs talents à l’aide de leur baguette pour mettre au jour des trésors enfouis ; il y trouvèrent une source et quelques vestiges que les publications savantes de l’époque évoquèrent avec enthousiasme.
Le jeune Jean-Claude Gaudichard, enfant de la maison qui l’habite toujours avec sa fille, fidèles gardiens de la mémoire de cette étonnante aventure, fut promus, par un journaliste que cette journée et le site avaient enthousiasmé, plus jeune sourcier de France.
La presse photographia l’événement.
Edmond Gaudichard avait publié en 1933 à Paris chez Vigot Frères un vademecum de la syntonisation radiesthésique et de la microthérapie. Il est également le fondateur de l’Institut national des radiesthésistes médicaux de Paris. Il était donc doublement concerné par cette visite insigne : en tant que médecin et en tant que propriétaire de grottes possiblement riches en vestiges d’un lointain passé. En juillet 1937, à l’occasion du premier Congrès international d’urbanisme souterrain, il renouvela son invitation : les participants furent accueillis à Haute-Isle pour écouter une conférence qui les invitait à veiller à la protection du patrimoine troglodytique. Ce mouvement fut lancé au moment même où se mettait en place la loi de protection des monuments naturels.
Grâce à Edmond Gaudichard et à ceux qui lui succédèrent jusqu’à aujourd’hui, l’église de Haute-Isle demeure l’un des sites remarquables de la boucle. Les chercheurs et les passionnés comme Gaudichard ne furent pas les seuls à s’intéresser aux boves : cet homme enthousiaste et entreprenant avait réuni autour de l’association des Amis de Haute-Isle des personnalités aussi éminentes que le maréchal Lyautey, Édouard Herriot, la duchesse d’Uzès, la comtesse de Noailles, le duc et la duchesse de La Rochefoucauld (qu’il appelait de La Roche-Guyon).
L’année précédente, la Société préhistorique française avait publié quelques éléments d’étude, accompagnés de dessins d’Armand Viré, sur les grottes de Haute-Isle. Intitulé Une petite merveille aux portes de Paris, à Haute-Isle (Seine-et-Oise) : les grottes et cavernes du Colombier, conférence d’Edmond Gaudichard à la Société archéologique, historique et scientifique des Amis du Mantois, en l’hôtel-de-ville de Mantes (2 avril 1932, 34 p).
En juillet 1937, à l’occasion de sa première session, les participants au Congrès international d’urbanisme souterrain furent accueillis par Edmond Gaudichard, qui prit la parole pour rappeler l’urgence d’une protection du patrimoine troglodytique à un moment où se mettait en place la loi de protection des monuments naturels. Il s’en réjouissait en formulant des vœux d’une remarquable lucidité : Jusqu’à ces dernières années, les communes, les associations touristiques n’avaient à leur disposition aucun moyen pour défendre leurs monuments et leurs sites contre le mauvais goût, l’envahissement scandaleux de la publicité et l’édification de baraques en bois s’harmonisant mal avec les paysages ou les sites. Depuis, le 30 juin 1930 une loi bienfaitrice [loi Chastenet)]a été votée, établissant dans chaque département une Commission des sites et des monuments naturels. À ceux des membres […] [du congrès] nous adressons une prière, leur rappelant avec Flaubert que “s’il y a des endroits si beaux qu’on a envie de les serrer contre son cœur, Haute Isle est de ceux-là”! »
Les savants sont décidément familiers des boves : la présence du salpêtre attira aussi Antoine de Lavoisier, qui, en 1777, fit part avec émotion à l’Académie des sciences de ses explorations dans les collines calcaires d’Haute Isle.